Flânerie solitaire  
 

La mer a ce côté un peu éternel... Et moi qui ne sais même pas ce que je fait ici... On aura tôt fait de m'ignorer. Simple être volant (m'appelez vous mouette? Goéland?), en promenade éphémère sur le commencement de la terre.

On ne m'a pas autorisé, par les lois naturelles, de vous raconter mon histoire... Mais je sais outrepasser les règles. Et m'avoir immortalisé au coeur d'une rétine mécanique n'embrasse pas que ma silhouette, sur un fond maritime; mais aussi ce que je suis.

Mon histoire donc. Avant toute chose, je suis né. L'époque m'échappe, je n'ai pas un réel "souvenir" de ma naissance, mais je me souviens de mes piaillements angoissés, tandis que je fracassais la coquille du dôme qui m'a permis de continuer à grandir hors de maman (Chez vous, une chambre, je crois...)

J'ai l'air un peu ballot là, un naïf, tout émerveillé de l'immensité de la mer, perdant toute contenance en public. Un peu comme à ma sortie du dôme... Tout poisseux, mais vite nettoyé par le bec de maman. Mais si vous pouviez me voir en vol...

Avant d'arriver ici, vous m'avez nourri. Enfin, peut être pas vous exactement, mais cela fait longtemps qu'un accord fut passé entre nos races. Dès que vous avez prélevé un présent de l'océan, vous nous en laissez une partie, pour peu que nous insistions un peu.

Mais vous êtes de plus en plus rare à nous nourrir. D'immenses monstres prélèvent trop de présents, et ne partagent avec personnes, il ne reste plus rien pour les humains sympathiques.
Mon grand plaisir, avec mes semblables, quand nous avons fini de manger, est de jouer dans les courants du ciel. Nous planons à contre sens dans le vent, pour un sur place aérien jouissif, qui nous fait chanter de contentement.

Le vol est la bénédiction de ma race. Vous n'avez pas idée du plaisir du mouvement dans toutes les directions, sans être limité par un bas trop pesant pour vous. Flotter un court instant dans un courant, puis basculer brusquement vers un miroitement dans l'eau, remonter en flèche, le bec pourvu d'un repas!

S'arracher au sol, plonger dans les airs, planer des nuages entiers passés, un battement d'aile de temps en temps, pour affiner une trajectoire sans but, juste le but d'être là...
Mais que voulez vous? Vous, vous êtes trop lourds! Je suis né avec des os creux, des plumes rigides et légères. Vous êtes nés avec des doigts qui construisent tout ce la nature n'a pas voulu vous accorder.

Parfois je me demande si vous n'êtes pas jaloux ne mon avantage aérien. C'est peut être pour cela que vous fabriquez d'énormes oiseaux durs et brillant. Peut être est ce pour cela que vous construisez de grands troncs d'arbres, pour aller avec les poissons.
Vous avez toute la Terre! Pourquoi toujours en vouloir plus?

Nous, nous apprécions la beauté de ce qui n'est pas pour nous. C'est pour ça que j'ai laissé l'une des vôtres me saisir dans cet instant qui réunit tout ce qui n'est pas à moi. L'océan et la Terre. Mais j'aime énormément ce qui n'est pas à moi, car il recèle une beauté paisible d'inconnu, de puissance mystérieuse.

Ce soir, quand l'oeil du ciel se sera couché dans la mer, je vais me laisser un peu planer au dessus des vagues, reflétant les étoiles saupoudrées autour de l'astre doux dans un air inaccessible.

Et vous, où serez vous?

Signé : Le goéland solitaire.

 

Texte : Kevin Quinquis